| "Si 
                            je pouvais porter plainte, est-ce que je le ferais 
                            ?"- atelier du 14 février 2004
 1) Préambule 
                            2) Porter plainte
 
 1) Préambule 
                            et fonctionnement d'atelier
 à l'époque de ce thème "porter 
                            plainte", il n' y avait pas encore de psy pour 
                            animer, c'était le premier de nos ateliers,un 
                            des seuls dont nous avons gardé une transcription, 
                            nous les appelions "groupes de réflexion", 
                            pour les différencier des groupes de paroles. 
                            D'abord ils ont eu lieu juste après les GP, 
                            aidant au débriefing d'après groupe, 
                            souvent nécessaires pour nous tous. Puis, le 
                            succès et l'intéret de la formule aidant, 
                            nous avons décidé de les dissocier, 
                            pour en faire une activité à part.
 Les échanges, réactions et réponses 
                            étaient possibles et alimentaient la réflexion, 
                            en direct.
 la présentation de cette transcrition est donc 
                            un peu différente de celles qui ont suivi, 
                            alors cadrées professionnellement par P...
 
 2) Porter plainte Delphine : alors je pensais… 
                            soit on fait un tour de table pour voir ce que chacun 
                            a envie de dire, soit, on commence avec les questions 
                            qu'on se posait… on a pensé à 
                            cet intitulé d'atelier pour coller un peu à 
                            l'actualité qui est la loi Perben 2 et l'amendement 
                            139… (inaudible…) on a pensé 
                            qu'il y a des tas de choses qui sont notre quotidien 
                            et qu'on ne lit jamais dans les travaux sur l'inceste. 
                            Donc on s'est dit qu'on pouvait se poser les questions 
                            entre nous, sur ce qu'est la vie avec l'inceste dans 
                            l'enfance. Une des façons de poser la question 
                            de porter plainte, c'est de se positionner… 
                            c'est d'imaginer qu'on a encore l'âge pour porter 
                            plainte. Annabel : rappelle-moi l'âge 
                            limite ? Delphine : actuellement, on a 
                            jusqu'à dix ans après la majorité, 
                            mais le projet de loi viserait à faire passer 
                            le délai à vingt ans après…. 
                            Donc, on se disait qu'on ne va pas se demander de 
                            nous mettre dans l'état dans lequel on était 
                            il y a quinze ans, mais on proposait d'imaginer qu'aujourd'hui, 
                            c'est possible pour nous. Aujourd'hui, on pourrait, 
                            c'est notre postulat, et notre agresseur n'est pas 
                            mort, c'est le deuxième postulat. Virginie : on ne peut pas porter 
                            plainte contre un mort ? Lise : ce serait intéressant 
                            pour les survivants, dans ce cas ; pas seulement pour 
                            la victime mais pour l'entourage … Delphine : alors porter plainte 
                            contre un mort, ça pose la question de ce qu'on 
                            attend d'une plainte… Annabel : parce que le mort ne 
                            sera pas puni… Virginie : on peut toujours faire 
                            reconnaître la victime. Annabel : oui mais dans un procès, 
                            le but, c'est de punir les méchants. Par voix 
                            de conséquence, tu reconnais la victime. Mais 
                            la finalité première d'un procès, 
                            'est pas de reconnaître la victime. Céline : est-ce que porter 
                            plainte amène systématiquement à 
                            un procès, déjà ? et est-ce que 
                            si on porte plainte, on a conscience que ça 
                            va aller à un procès ? Annabel : bah, il y a une instruction… Virginie : normalement, les juristes 
                            qui accompagnent te le disent. (inaudible…). Delphine : on avait aussi pensé 
                            à cette formulation là parce qu'à 
                            cause de l'âge et des délais de prescription, 
                            on prend souvent comme premier argument pour dire 
                            "ah! Bah non, on n'est pas concerné par 
                            la plainte, de toutes façons, il y a prescription". 
                            Presque comme un prétexte. Or, on s'est rendu 
                            compte aux groupes de parole et sur les forums que 
                            même les gens qui sont encore dans les délais 
                            ne portent pas plainte. Ou très peu. Parce 
                            que c'est pas aussi simple… Milène : parce qu'on a 
                            intégré à la fois le… on 
                            a déjà eu assez de mal, assez longtemps, 
                            à se battre contre cette culpabilité 
                            qu'on endossait à la place des autres, donc 
                            elle existe encore, cette culpabilité de rentrer, 
                            de pousser la porte de la loi, de la juridiction ; 
                            c'est encore plus dur. Et moi je voulais essayer de 
                            formuler cette question un tout petit peu différemment 
                            dans mon cas : si j'ai, non pas porté plainte, 
                            mais au moins signalé, c'est parce qu'il m'est 
                            apparu clair que l'argumentation de la personne que 
                            j'avais au bout du fil, à qui je demandais 
                            conseil, était bonne. Je demandais conseil 
                            à une association : "SOS femmes". 
                            Et elle me disait : "si vous ne le faites pas 
                            pour vous, faites le pour votre descendance et pour 
                            vos petits neveux". Et ça m'a paru évident. 
                            D'autant que plusieurs fois, j'avais douté 
                            que mon agresseur, qui était toujours vivant, 
                            s'investissait et investissait toujours beaucoup dans 
                            son rôle de grand-père. Donc j'aimerais 
                            bien que vous m'aidiez à formuler aussi la 
                            question sous cet angle là. Bon, est-ce que 
                            c'est une question qui… parce que ça 
                            y est, j'y ai répondu en faisant ça… 
                            je relis le… : "si on porte plainte, a-t-on 
                            conscience qu'on va vers un procès ?" Annabel : oui Milène : ça, ça 
                            me touche. J'avais pas vraiment conscience que j'allais 
                            vers un procès puisque… je n'en suis 
                            pas sûre… je ne me posais même pas 
                            la question de savoir si ça allait déboucher 
                            sur un procès puisque comme tout ce que je 
                            fais depuis que j'ai rencontré… depuis 
                            que j'ai fait un travail avec ma fille aînée, 
                            les choses m'apparaissent comme allant de soi. Comme 
                            devant être faites. Quel que soir l'état 
                            branlant de la justice, non, non… ça 
                            devait. Delphine : autour de la table, 
                            est-ce que quelqu'un d'autre a fait un signalement, 
                            a porté plainte ? Milène : Oui. Moi. Le 
                            22 décembre 2003, jour anniversaire de ce qui 
                            aurait dû être mon trentième année 
                            de mariage. Céline : moi, j'ai quand 
                            même envie de revenir sur quelque chose d'important 
                            ; c'est qu'on porte plainte contre quelque chose que 
                            la société ne reconnaît pas : 
                            l'inceste. L'inceste n'existe pas dans les textes. Milène : Absolument. Annabel : on porte plainte pour 
                            violence sexuelle ou viol … Céline : mais pas pour 
                            inceste. Annabel : mais peu importe. Milène : l'inceste n'est 
                            pas interdit par la loi, c'est ce que m'a fait remarquer 
                            ma psy. Delphine : ce qui est interdit, 
                            ce sont les relations sexuelles avec un mineur ; mais 
                            entre deux adultes consentants dans une famille, c'est 
                            pas interdit. Milène : la loi ne dit 
                            pas que la maltraitance sexuelle sur enfant au sein 
                            de la famille relève de l'inceste. La loi ne 
                            le dit pas. Virginie : si j'avais dû 
                            porter plainte, je ne sais pas si j'aurais eu besoin 
                            que ce soit pour inceste. J'aurais dit : "mon 
                            père m'a fait ça, ça, ça 
                            et ça…" Annabel : je crois que si j'ai 
                            bien compris, le sujet sur lequel tu nous demandes 
                            de parler, c'est qu'on l'appelle "inceste" 
                            ou qu'on l'appelle "doigt dans le cul", 
                            est-ce que t'aurais porté plainte ? c'est ça 
                            la question. Milène : c'est pour ça 
                            que plutôt que de se dire pourquoi on le fait, 
                            pourquoi on ne le fait pas, je me dis que c'est intéressant 
                            de partir de ce qu'on ferait nous-même. C'est 
                            pour voir nos arguments. Annabel : je ne comprends pas… 
                            je trouve que Milène a fait un truc qui demande 
                            un courage incroyable et là, je vois qu'on 
                            continue à faire comme si personne autour de 
                            la table avait envisagé la chose. Delphine : c'est très 
                            important, et on en a parlé, on en reparlera 
                            dans la discussion ; je voulais juste qu'on fasse 
                            un tour de table pour voir ce qu'il en est des autres. 
                            Toi, t'as fait quelque chose ? Annabel : alors moi, je n'ai 
                            rien fait, donc je peux expliquer pourquoi. Parce 
                            que je n'ai conscientisé la chose, d'une part, 
                            et pu en parlé, d'une autre, que quinze ans 
                            après la mort de mon père, c'est-à-dire 
                            à cinquante ans. J'en ai 57. Evidemment, dans 
                            cette situation là… alors ce que je me 
                            pose comme question, et c'est pour ça que je 
                            suis là aujourd'hui : et si l'amnésie 
                            avait craqué plus tôt ? c'est une question 
                            qui me taraude. Parce que je reste dans la terreur 
                            absolue, la panique totale, mais je rebondis sur ce 
                            qu'a dit Milène : il n'y a pas que moi, il 
                            y a mes filles, mon fils aîné… Milène : qui attendent 
                            que ça bouge. Annabel : voilà ; qui 
                            attendent que ça bouge. Il est possible, vraiment, 
                            que en pensant à mes enfants et aux autres 
                            enfants, d'une part, et avec un soutien d'association 
                            d'autre part, il est possible que j'ai au moins été 
                            voir un avocat. C'est-à-dire, j'en suis pas 
                            à dire : j'aurais porté plainte, mais 
                            je pense que j'aurais amorcé la démarche. Virginie : comment ça 
                            va se passer, tout ça… Annabel : avec l'idée 
                            que potentiellement, si je ne le fais pas pour moi, 
                            je le fais pour les autres.  Milène : mais personnellement, 
                            moi, ça m'apporte aussi beaucoup de l'avoir 
                            fait. Annabel : parce que toi tu es 
                            dans une démarche de passer à l'acte. 
                            Moi, rien qu'en en parlant, j'ai la chair de poule 
                            de pouvoir envisager ça tellement j'ai peur 
                            de lui. Il est mort depuis quinze ans… là, 
                            actuellement, c'est comme s'il était là… Milène : j'ai également 
                            peur de mon frère. Il m'a menacée à 
                            plusieurs reprises. J'ai cette peur là mais 
                            je la mets à distance parce qu'il y a des choses 
                            supérieures à cette force là. 
                            Je le dis, et je le redis ; cette force, ce groupe, 
                            votre association, c'est quelque chose qui m'a beaucoup 
                            aidée et sans quoi je n'aurais certainement 
                            pas fait ce que j'ai fait. Lise : alors moi, j'ai été 
                            en accord parfait avec Annabel… là aussi, 
                            j'ai la trouille au fur et à mesure qu'Annabel 
                            parlait, c'était moi, quoi… alors… 
                            je dirais que maintenant, je suis trop vieille, que 
                            mon frère est trop vieux. Il y a surtout une 
                            première reconnaissance que j'attends. Avant 
                            celle de la justice, c'est celle de ma famille. Je 
                            n'ai jamais eu une seule fois un bon contact avec 
                            mes sœurs pour en parler, et encore, c'est difficile. 
                            Donc moi, j'ai tout un travail… lundi, j'ai 
                            rencontré, j'ai passé quelques jours 
                            avec une de mes sœurs et je pense… j'aurais 
                            la trouille par rapport. Je ne le ferais pas. En tous 
                            cas pas maintenant. Mais je suis d'accord qu'en le 
                            faisant, on soutient les autres victimes qui, à 
                            leur tour… Milène : c'est surtout 
                            que l'agresseur en question, qui a continué 
                            d'avoir un parcours d'agression, bien au chaud dans 
                            l'anonymat du cocon familial et du couple, puisqu'il 
                            a continué à être agressif à 
                            l'égard de sa femme, so épouse ; à 
                            la battre. C'est pas une faible femme, c'est pas une 
                            petite nature, et qu'il y a aussi des conséquences 
                            au niveau d'un de ses enfants. Et voilà. Et 
                            sans qu'il y ait besoin de preuves tangibles, visibles, 
                            sans aucun besoin d'être prouvées parce 
                            que je les reconnais, et bien, m'ont décidée. 
                            La question : peut-on porter plainte contre un mort 
                            me paraît une question très intéressante… 
                            on sait d'avance la réponse mais… Delphine : je vais dire les autres 
                            questions qu'on se pose, et puis on les réaborde 
                            après ?! Lise : (inaudible…) il 
                            se trouve que mon agresseur est aussi très 
                            âgé et malade, et il est dans un pays 
                            lointain. Je ne sais pas son état, même. 
                            Il a vécu des choses très dures… 
                            et je suis incapable de porter plainte contre lui. 
                            Ce que je voudrais, c'est qu'il m'écrive en 
                            disant : "oui, c'est vrai, j'ai fait ça". 
                            C'est tout. Qu'il reconnaisse, et que la famille dise 
                            "oui, on était là ; on a dû 
                            voir, on a vu, et puis…" donc je ne porterais 
                            pas plainte mais je soutiendrais des gens qui le font. Céline : Bien moi, je 
                            ne porterai pas plainte dans la mesure où je 
                            ne suis pas la personne directement concernée 
                            dans la famille. Et surtout, ça n'a jamais 
                            été parlé au sein de la famille 
                            du temps du vivant de l'agresseur ; la victime n'en 
                            a jamais parlé. Donc on porte plainte contre 
                            quelque chose qui n'existe pas, c'est difficile. C'est 
                            un peu dans ce sens là que je disais tout à 
                            l'heure que l'inceste n'est pas reconnu. Comment on 
                            porte plainte contre quelque chose que la société, 
                            et même des fois les premiers intéressés 
                            n'ont pas conscience que ça existe, que c'est 
                            là ? Delphine : oui c'est pas toi 
                            qui est concernée, c'est pas toi qu'on agresse 
                            mais on aurait pu imaginer que tu fasses un signalement 
                            disant : "je sais qu'il se passe ça". 
                            Tu vois ? Céline : c'est vrai que 
                            quand ça s'est passé, j'étais 
                            enfant, et c'était impensable. Delphine : oui mais maintenant, 
                            si c'était possible… Céline : je pense que 
                            oui mais bon… quand on n'est pas dans la situation. 
                            Mais c'est vrai qu'il y a un truc qui me met très 
                            en colère, c'est que j'aurais besoin, en dehors 
                            du fait de porter plainte, c'est de dire : "oui 
                            il y a un truc qui s'est passé dans notre famille". 
                            Et qu'on arrête de se mentir dans la famille. Bérénice : ben 
                            moi, j'exclus pas de faire un signalement. Il y a 
                            quelques années, j'avais rencontré un 
                            psychiatre qui avait dit "vous pouvez faire un 
                            signalement en disant que vous pensez qu'il peut être 
                            dangereux". Et, je fais bien la différence 
                            entre quelque chose qui est la part de mon cousin, 
                            et quelque chose qui est de mon frère (inaudible…). 
                            Déjà, mon cousin est quelqu'un de pervers. 
                            Donc pour cette raison, je ne m'y risque pas mais 
                            j'avoue que c'est extrêmement difficile. Je 
                            commence à envisager de le faire. Mais le passage 
                            à l'acte, c'est pas encore pour demain. Je 
                            l'ai rencontré, j'en ai parlé ; j'en 
                            ai parlé à mes parents. Il m'a parlé 
                            de ses filles, il m'a parlé de sa femme, il 
                            m'a parlé de sa mère et j'avoue que 
                            moi, je sais que j'ai grandi avec un tas de conséquences… 
                            mais j'ai pas envie de porter sur la conscience de 
                            l'accuser à tort. Accusé à tort 
                            dans le sens que peut-être il n'a pas reproduit 
                            avec d'autres (inaudible) Annabel : tu ne porterais pas 
                            un signalement sur ce qui s'est passé avec 
                            toi mais sur ce que tu pressens qu'il s'est passé 
                            avec ses gosses. Bérénice : non, 
                            sur ce qui s'est passé avec moi. Annabel : bah alors ?! il n'y 
                            a rien de faux. Bérénice : non, 
                            mais il y a une enquête qui est menée, 
                            voilà, quoi… Delphine : tu ne veux pas qu'il 
                            d'ennuis, en fait… Annabel : tu ne voudrais pas 
                            qu'il assume la conséquence de tes actes. Donc 
                            toi, depuis toutes ces années… Delphine : Annabel… Bérénice : oui, 
                            il y a de ça, et j'ai la mémoire de… 
                            c'est un homme que j'ai côtoyé... Un 
                            jour, il m'a invitée chez lui pour me faire 
                            visiter sa maison et je me souviens de m'être 
                            tenue à cinq mètres de distance, alors 
                            que je n'avais pas conscience de ce que j'avais vécu 
                            avec lui à ce moment là. Mais je me 
                            souviens que mon corps se tenait à distance. 
                            Et j'ai encore ça, là. Je sais que j'ai 
                            encore ça. Mais c'est pas insurmontable, c'est 
                            émotionnel. Bêtement émotionnel. Milène : moi, j'ai mis 
                            du temps à réussir à formuler 
                            à mon frère ce que je voulais lui dire. 
                            J'ai procédé par approche successive. 
                            De plus en plus déterminée, chaque fois, 
                            car de plus en plus je le voyais d'un peu plus loin, 
                            un peu plus haut. Mais je le voyais chaque fois s'échapper 
                            un peu plus, par des moments d'isolement. La dernière 
                            fois qu'on s'est vu en Bretagne, je lui ai dit que 
                            je voulais le voir seule pour discuter avec lui et 
                            que je voulais qu'il vienne avec moi sur la plage, 
                            et il a tout fait pour éviter ça. Donc 
                            j'y suis allée par petites touches successives. Delphine : oui, mais tu as quel 
                            âge ? Milène : j'ai 54 ans. 
                           Delphine : oui, donc c'est pareil, 
                            il a fallu du temps, quoi… donc moi, j'ai pas 
                            porté plainte contre mon grand-père 
                            parce que j'étais trop petite. Mais de toutes 
                            façons, c'est pareil, je m'en suis souvenue 
                            très récemment, autant des agressions 
                            que des tortures que j'ai subies. Donc pour rester 
                            dans l'idée de l'exercice, même s'il 
                            était pas mort, est-ce que je porterais plainte 
                            contre lui ? Alors… il y a quelques mois évidemment… 
                            c'est-à-dire que s'il était toujours 
                            en vie, je pense que je ne serais pas là, ou 
                            bien qu'on serait tous encore plus déglingués 
                            que maintenant. Ça a fait du bien qu'il meurt. 
                            Ben oui… ça aurait été 
                            différent, de toutes manières. Mais 
                            s'il était toujours vivant et que j'étais 
                            comme aujourd'hui, j'aurais porté plainte. 
                            Enfin, je porterais plainte… Virginie : mais t'as fait un 
                            signalement, quand même… Delphine : ah! Mais ça 
                            c'est pour mon père. (changement de face) Delphine : c'est pas pareil de… 
                            la question, là, c'est si on a l'initiative 
                            de la plainte. Une autre question, c'est si quelqu'un 
                            d'autre de la famille porte plainte, comment on se 
                            positionne. C'est pas la même chose. Donc là, 
                            moi, je porterais plainte, c'est sûr. Mais en 
                            fait, je ne sais pas, c'est des mots en l'air, tout 
                            ça… je suis allée assister à 
                            un procès, jeudi ; sachant un peu comment ça 
                            se passe, ayant un peu connaissance des procédures, 
                            de ce qu'il faut pour qu'il se passe quelque chose 
                            juridiquement, je ne sais pas. Si c'est pour me faire 
                            traîner dans la boue, e ne sais pas. Mais je 
                            pense que je le ferais. Et pour mon père, c'est 
                            pareil. Suzanne : mais tu n'as pas vingt 
                            ans après la majorité ? Marianne : c'est une loi organique 
                            et les loi organiques ne sont pas rétroactives. 
                            Elles prennent effet à leur promulgation mais 
                            valent pour à partir de ce moment là. Virginie : au départ "si 
                            j'avais l'âge pour porter plainte…" 
                            je me suis dit, que ça ne m'évoquait 
                            rien et puis maintenant, je suis contente que tu me 
                            la poses parce que je ne me la suis jamais posée. 
                            Au départ, je me suis dit : non, parce que 
                            c'est pas assez hard ce qui m'est arrivé. Et 
                            puis finalement. Delphine : ah bon!? Virginie : ben non. Pas de torture, 
                            pas d'étranglement. Et aussi, parce que j'ai 
                            été séparée de mon père. 
                            Mais quand même, tout à l'heure, en fumant 
                            là haut, je me suis dit… oui, parce que 
                            mes parents étaient divorcés. Mais je 
                            me suis dit, si on avait vécu plus longtemps 
                            ensemble, ça aurait duré, et là, 
                            j'aurais porté plainte. Mais là… Annabel : c'est pas bien méchant 
                            ?! (sarcastique-incrédule) Virginie : Voilà, c'est 
                            pas bien méchant. Delphine : c'est possible de 
                            ne pas faire de commentaires ??!! Virginie : mais quand même, 
                            il y a aussi le fait que je me suis rendu compte, 
                            il y a dix ans, qu'il y avait un rapport de cause 
                            à effet entre mon instabilité psychologique, 
                            affective et professionnelle et ce qu'il m'avait fait. 
                            Qui n'était pas si grave, mais qui était 
                            grave dans l'ambivalence. Tout à l'heure, quand 
                            Céline disait "l'inceste n'est pas reconnu", 
                            je dirais, ce qui est encore moins reconnu, c'est 
                            la difficulté… déjà, l'inceste 
                            avec grosse tarte dans la gueule, c'est pas reconnu. 
                            Mais ce qui l'est encore moins, c'est toute la violence 
                            que ça peut avoir quand un père aimé 
                            et aimant vient doucement masturber, ou se faire masturber. 
                            Et ça, c'est difficilement reconnu par les 
                            autorités parce qu'ils se disent : il n'y a 
                            pas mort d'homme. Marianne : excuse-moi, mais tu 
                            te trompes complètement. Milène : n'interviens 
                            pas ?! Virginie : non mais bon, moi, 
                            il me semble que tant que je ne suis pas violée 
                            grave avec coups et blessures, c'est… je me 
                            suis posée la question. Il y a le fait aussi 
                            que ça fait que dix ans que je me suis rendu 
                            compte que j'étais chtarbe. Si je m'en étais 
                            rendu compte plus tôt, alors à ce moment 
                            là, ça aurait changé la donne. 
                            Parce que comme j'ai une belle-sœur… demi-sœur, 
                            demi-frère, parce qu'entre temps mon père 
                            a refait sa vie, il a eu d'autres enfants ; si aujourd'hui 
                            je devais porter plainte, ce serait pour protéger 
                            ses enfants, ça serait pour protéger 
                            une fille que je n'ai jamais connue. Mais maintenant, 
                            je me dis, c'est un peu tard, parce que la fille est 
                            grande, il n'y a plus à la protéger. 
                            Mais aujourd'hui, s'il y avait une petite fille sous 
                            sa coupe à protéger, certainement je 
                            ferais un signalement. Plutôt, par rapport à 
                            ce que j'ai entendu, ce serait pour protéger 
                            d'autres enfants. Mais cette petite fille, je ne la 
                            connais pas, elle est anonyme, c'est un peu la petite 
                            fille que j'étais. Delphine : mais eux, ils ont 
                            peut-être des enfants. Qu'est-ce qui fait qu'on 
                            bloque et qu'on ne le fait pas ? Virginie : souvent, l'idée 
                            m'est venue d'essayer de savoir, si par le biais de 
                            cette jeune fille, s'il s'est passé quelque 
                            chose pour elle. Je me dis que de toutes façons, 
                            si il s'est passé quelque chose pour elle, 
                            ça a été pire, parce qu'elle 
                            l'avait à plein temps. Moi j'ai eu la chance 
                            que ma mère divorce. Mais le signalement… 
                            il y a encore une dernière chose qu'il faut 
                            reconnaître, c'est que j'ai encore tendance 
                            à le protéger. C'est vrai que la dernière 
                            fois que je l'ai vu, c'était il y a quelques 
                            années, je devais avoir trente ans, je venais 
                            de me marier, et je l'ai vu arriver à l'aéroport 
                            avec son air de chien battu. Et voilà… 
                            je me suis dit… c'est vrai que devant les faits, 
                            j'aurais peut-être encore tendance à 
                            le protéger… ça, malheureusement… 
                            comme il avait déjà son air de chien 
                            battu à l'époque, genre : ma femme est 
                            pas là, et moi je me disais faut que je la 
                            remplace… alors un signalement. En plus, plus 
                            tard, il m'a dit qu'il lui était arrivé 
                            la même chose… Delphine : et toi, tu aurais porté plainte 
                            ?
 Marianne : ben moi, c'est très 
                            simple. S'il était pas mort, de toutes façons, 
                            il est mort il y a pas très longtemps, donc 
                            ça fait longtemps que j'aurais pu porter plainte, 
                            et je ne l'ai pas fait, c'est non. De toutes façons, 
                            il faut des preuves, ça, je le sais. Sans preuve, 
                            tu ne portes pas plainte, tu ne fais rien de tout 
                            ça. Si t'es pas blindée, si t'as pas 
                            des preuves blindées, c'est même pas 
                            la peine de s'y pointer parce que c'est toi qui va 
                            être laminée par le procès. Ça 
                            se retourne contre toi. Moi, si par exemple à 
                            dix-huit ans je savais tout ce que je sais maintenant, 
                            je ne serais pas partie de chez moi, je serais allée 
                            chez le médecin qui m'a soignée quand 
                            j'étais petite, j'aurais été 
                            chercher toutes les preuves. J'aurais fait témoigner 
                            les gens de l'école, les instits qui ont convoqué 
                            mon père, souvent. Moi je ne savais pas pourquoi 
                            mais c'était écrit sur un papier, il 
                            était tout le temps convoqué. Je me 
                            ferais tout un faisceau de preuves et je porterais 
                            plainte. Mais c'est si j'avais dix-huit ans. Mais 
                            étant donné que j'en ai cinquante, que 
                            mon père est mort l'an dernier et que de toutes 
                            façons, moi je me suis barrée à 
                            dix-huit ans… j'ai même pas pensé 
                            à ça à dix-huit ans. J'ai pensé 
                            qu'à me barrer ; j'étais niaise, franchement. Delphine : et maintenant ? Marianne : Maintenant, ce que 
                            j'ai l'intention de faire ; pas tout de suite, là, 
                            mais… depuis un mois j'ai ça en tête. 
                            Je me suis dit ; après tout, je suis conne. 
                            Pas pour moi, mais pour la société. 
                            Parce que je rends compte que quand on est victime 
                            d'inceste et qu'on n'a pas de procès, qu'on 
                            n'a pas un acte juridique qui le prouve, on est hystérique, 
                            on ne nous croit pas. On n'a pas de point d'appui 
                            social. Pas pour moi, parce que psychiquement, je 
                            ne crois pas que j'en ai besoin, enfin consciemment. 
                            Mais d'un point de vue social. J'irais revoir tous 
                            les gens et les voisins de mon enfance, je réunirais 
                            tout ce que je peux. Evidemment, l'idéal c'est 
                            d'avoir des lettres d'aveu comme Eva Thomas a eues. 
                            Mais bon… Virginie : ta mère ? Marianne : quoi, ma mère 
                            ? ah ?! ma mère… oui, effectivement, 
                            j'aurais pu… c'est que je ne la considère 
                            même plus comme… pour moi, elle est morte. 
                            Mais c'est vrai que je suis comme toutes, j'ai pas 
                            envie d'aller… mais bon, quand même, c'est 
                            pas elle l'agresseur… Lise : non, mais pour ton faisceau 
                            de preuves… Marianne : alors ça va 
                            la tuer. Delphine : et ton frère 
                            ? Marianne : oui, mon frère… 
                            mais non, je ne suis pas là dedans, je suis 
                            plutôt dans des preuves matérielles que 
                            je peux trouver. Si tu veux, mon frère, et 
                            ma mère… mon frère il sait, c'est 
                            sûr. A moins qu'il ait oublié, comme 
                            les victimes... Mais ma mère, soit elle sait, 
                            soit elle sait pas. Et c'est vrai que là, actuellement… 
                            je ne sais pas si elle sait, je ne penche pas… 
                            enfin bon… il faudrait que je lui pose la question… 
                            mais en même temps, si elle ne sait pas et que 
                            je lui pose la question et que je lui dis ça, 
                            et que ça la tue. Je ne veux pas tuer quelqu'un, 
                            moi. Quand j'étais petite, elle pleurait tout 
                            le temps. Donc, j'en sais rien. Delphine : mais t'envisages de 
                            le faire ?? Marianne : oui, j'envisage, mais 
                            pas maintenant. Après il faut décider 
                            de le faire, après il faut faire le voyage, 
                            rechercher où sont les gens, etc… Delphine : mais tu ne te dis 
                            pas que ta mère entendrait parler de ça, 
                            si tu entamais ces démarches ? Marianne : mais même si 
                            elle en entendrait parler, je m'en fous. Si elle me 
                            pose la question, alors là, oui. Mais moi, 
                            aller lui poser la question, non. Mais moi, je pense 
                            plutôt aux preuves tangibles. Parce que c'est 
                            pas des preuves, ma mère. A moins qu'elle dise 
                            "oui, oui c'est vrai, je te fais une lettre pour 
                            la justice". Mais j'y crois pas une seconde à 
                            ça. Moi, je crois aux preuves tangibles. Des 
                            témoignages directs, à l'école, 
                            ou le toubib.  Delphine : et qu'est-ce que tu 
                            en attendrais, de ça ? Marianne : alors ça existe. 
                            Il y a les flics, à Marseille ; la brigade 
                            des mineurs de Marseille qui est prête à 
                            entendre des adultes qui ne peuvent plus porter plainte. 
                            Et ils sont prêts à faire une enquête 
                            même si on ne peut plus porter plainte. Alors 
                            je sais… et à la suite de ça, 
                            pour l'instant, en outil juridique, il n'y a rien 
                            qui dit que ça a été fait. Il 
                            y a juste un papier qui dit que telle enquête 
                            a été faire, qu'on a ces preuves là, 
                            et puis c'est tout. Il n'y a pas de jugement. Mais 
                            si la loi, la journée de SOS inceste à 
                            Grenoble le 27 mars, on pourrait peut être demander 
                            des outils pour changer de droit. A partir de là, 
                            on ne serait plus hystérique, faux souvenirs 
                            ou je ne sais pas quoi… Delphine : donc t'en attendrais 
                            une reconnaissance… Marianne : oui, que au moins, 
                            quand tu es dans une assos, qu'on te dit : vous avez 
                            vécu l'inceste, bien qu'on le prouve". 
                            Et voilà, je vous le prouve. Regarde, les journaleux 
                            merdeux, ils s'adressent à qui ? aux victimes 
                            qui ont des procès! Ils s'adressent pas à 
                            des victimes qui… qui… qui ont eu des 
                            flash, ou qui… voilà. Ils veulent pas 
                            faire d'émission de télé, ils 
                            ne leur donnent pas la parole à ces gens là. 
                            Donc ; parce que eux, ils veulent une garantie, quoi! 
                            Une garantie; et c'est uniquement pour ça que 
                            moi je pense comme ça, c'est pour ça. Céline : moi j'avais envie 
                            de rajouter une chose sur "pourquoi on porte 
                            pas plainte", c'est une idée qui m'est 
                            venue en entendant un témoignage, c'est aussi 
                            que la particularité de l'inceste, c'est que 
                            ça touche toute la cellule familiale, et qu'il 
                            y a aussi la peur des conséquences sur la famille, 
                            la peur de l'éclatement de la famille. Et c'est 
                            vrai que ça, je me l'imaginais pas, moi. Delphine : t'aurais eu la trouille 
                            que ça fasse péter ta famille ? tes 
                            frères et sœurs ? Céline : en imaginant, 
                            ma mère qui ne travaillait pas, et mon père 
                            qui était le seul à travailler et en 
                            imaginant qu'il ne serait plus à la maison, 
                            qu'est-ce qui se passerait ? Comment on vivrait ? 
                            De quoi on vivrait ? et sur le plan affectif, comment 
                            ça se passerait, et pour ma mère, et 
                            pour mes frères, et pour mes sœurs ? Il 
                            y avait toutes ces questions là, qui font que… 
                            dans la particularité de l'inceste, il y a 
                            quand même un certain nombre de choses… 
                            il y a un affect. Tu ne touches pas un abuseur anonyme, 
                            quoi. Marianne : je rajoute juste un 
                            truc : dans l'idée de parler à ma mère 
                            ou pas : moi, ma mère, c'est plus ma mère. 
                            J'en ai rien à foutre. C'est une femme dans 
                            un endroit, un être humain. Donc je ne vois 
                            pas pourquoi j'irais… mais par contre si quelqu'un 
                            y allait, pourquoi pas ? il n'y a aucun problème. 
                            mais moi, je ne veux pas en plus avoir sa mort sur 
                            la conscience., on ne sait jamais. En tant que mère, 
                            j'en n'ai rien à foutre. En tant qu'être 
                            humain, un peu plus, peut-être. Lise : il y a quand même 
                            nécessité, ma nécessité 
                            de me reconstruire - je sens que je ne suis pas encore 
                            reconstruite - et avant d'attaquer, j'ai besoin d'être 
                            plus solide. Et je sais que la reconstruction, elle 
                            passe aussi par la réconciliation. Je dis pas 
                            qu'avec l'abuseur, mais aussi avec sa mère. 
                            Et la démarche que je fais en priorité, 
                            avant tout, c'est de retrouver la famille, me présenter 
                            devant elle et pouvoir être reconnue. Pouvoir 
                            presque justifier que si j'ai été comme 
                            ça, c'est à cause de ce que j'ai vécu. 
                            Les accusations de la part de mes sœurs, qui 
                            étaient tellement fausses. Parce que j'étais 
                            dans mon coin et que je ne disais pas un mot ; et 
                            c'est d'abord de ça dont je voudrais me délivrer, 
                            en me reconstruisant. Et si je me reconstruis, ce 
                            sera pas dans (inaudible). Virginie : ça renvoie 
                            à la question du signalement à la famille 
                            parce que est-ce qu'on peut porter plainte sans avoir 
                            au préalable tenté au moins… parce 
                            que le signalement à la famille, c'est presqu'une 
                            petite répétition, déjà, 
                            tu vois comment ils réagissent. T'imagines, 
                            si ça fait un flope dans la famille… Delphine : ben non, c'est pas 
                            pareil ; ta famille, c'est une famille incestueuse. Virginie : ben je ne sais pas 
                            s'il faut plus ou moins de force que d'attaquer la 
                            société, parce qu'effectivement, tu 
                            ne sais pas comment ça va se passer, mais en 
                            même temps, c'est plus facile, il suffit d'avoir 
                            la parole. Je sais pas, aujourd"hui, il y a le 
                            sujet de la plainte, mais il y a au moins autant le 
                            sujet du signalement. Pas si on "peut" signaler, 
                            parce qu'on peut toujours signaler, sauf si le persécuteur 
                            est mort. Mais on peut toujours aller le voir et dire 
                            : "voilà, t'as fait ça, ça 
                            et ça!" Pour ce qui est du signalement, 
                            ça, par contre, je l'ai fait. J'ai fait un 
                            mailing à la famille. Delphine : pas à la DDASS… Virginie : c'est déjà… 
                            j'aurais pas envisagé de porter plainte et 
                            que toute ma famille tombe des nues de ne pas lui 
                            en avoir parlé. C'est à dire que demain, 
                            si je porte plainte parce que je m'apercevrais que 
                            cette fille a subi des choses, et que je doive appuyer 
                            son témoignage, ou autre chose ; effectivement, 
                            et ben tout le monde ne tombera pas des nues parce 
                            qu'aujourd'hui, tout le monde est au courant. J'ai 
                            écrit à tout le monde. Je pense que 
                            ça fait partie de notre trajectoire. Déjà, 
                            le temps de faire le rapport que t'es disjonctée 
                            à cause de ça ; ensuite, il y a l'agresseur 
                            : on lui en touche un mot ou pas ; ensuite il y a 
                            la famille… enfin, j'ai l'impression que la 
                            plainte, c'est vraiment la fin d'un espèce 
                            de processus où on a essayé toutes les 
                            situations, et où on en est ressorti assez 
                            (inaudible…) Delphine : mais qu'est-ce que 
                            t'en attendrais ? d'un procès ? Virginie : ben ce qu'on en disait 
                            tout à l'heure, les petits enfants… ben 
                            c'est vrai ; il est bien conservé, mon père, 
                            je pense qu'il peut vivre longtemps, et s'il a des 
                            petits enfants. Oui, et puis le pauvre, il a vécu 
                            la même chose mais je pense que ça lui 
                            fera du bien. Je pense à lui, aussi. On dit 
                            toujours que les condamnés ont le droit de 
                            savoir où est la loi, faut leur remettre les 
                            points sur les "i" ; peut-être qu'il 
                            souffre de ce qui s'est passé. Moi je lui ai 
                            envoyé un courrier où je lui rapporte 
                            ce qu'il a fait… Delphine : il t'a répondu 
                            ? Virginie : il m'a répondu 
                            que… (inaudible…) Milène : c'est ce que 
                            dit Bush, aussi, George Bush. Virginie : donc pour lui aussi. 
                            Je crois qu'il faut penser à l'agresseur.dans 
                            cette histoire de porter plainte. Parce que ça 
                            leur fait du bien de savoir ; il y en a qui recherchent 
                            ça. On dit ça aussi, souvent, pour les 
                            serial killers ; il y en a qui laissent des traces 
                            pour se faire arrêter. Je pense que l'agresseur 
                            - je ne suis pas psy - mais il peut avoir une volonté 
                            inconsciente qu'on lui dise :"ben ça, 
                            ce que t'as fait, c'était pas bien". Et 
                            qu'il paye, ne serait-ce que symboliquement. Et je 
                            pense que même si l'agresseur est mort, la famille, 
                            ça lui fait du bien parce que… dans mon 
                            cas, c'est pas très grave parce que… 
                           Toutes : arrête ça! 
                            (moultes réactions énervées) Virginie : oui, mais la famille 
                            qui dit : "ouiii, hooooff…" c'est 
                            pas si grave etc… et bien je pense que ça 
                            peut faire du bien à l'agresseur, mais aussi 
                            aux autres membres de la famille. Parce que ça 
                            recasse tout le monde. Et puis on disait tout à 
                            l'heure, c'était Lise, je crois ; ben on se 
                            dirait : "je comprends pourquoi elle a été 
                            alcoolo, etc… elle avait peut-être une 
                            raison. Parce que jusuq'ici, c'était toujours 
                            moi qui étais le canard boiteux, la fille qui 
                            se vautrait dans la luxure, les je ne sais quoi quelles 
                            drogues artificielles, ben comme ça, ils sauront 
                            et se diront que j'avais peut-être une raison 
                            d'être mal. Je pense que ça fait du bien 
                            à toute la structure familiale, même 
                            si le considéré a rendu l'âme. Bérénice : de toutes 
                            façons, elle existe pas la structure familiale 
                            dans un truc comme ça. Virginie : ben justement, elle 
                            pourrait ré-exister après un truc comme 
                            ça ; certains vont d'emblée disparaître, 
                            vont s'éteindre d'eux-mêmes, et d'autres 
                            qui vont se reconstruire autour. Moi je pense qu'il 
                            y a une vraie structure qui peut renaître. Bérénice : oui, 
                            mais qu'est-ce que tu veux dire avec "structure 
                            familiale" ? les relations qui sont en place, 
                            les enjeux qui sont en place au début avec 
                            l'inceste sont pas les enjeux qui permettent à 
                            une famille d'exister. De subsister, au sens… Milène : absolument… Bérénice : c'est 
                            une illusion de famille. Milène : d'ailleurs j'ai 
                            brisé ma famille, je n'ai pas été 
                            capable de la soutenir. D'ailleurs c'est vraiment 
                            un truc horrible que j'ai vécu à nouveau 
                            mais au moins, je me remettais d'accord avec moi-même. 
                            Donc, ce qui a été dit par Marianne, 
                            par Virginie, j'étais très d'accord. 
                            Et moi, j'ai le mot "réhabilité", 
                            redonner sa dignité à la personne, et 
                            à sa descendance. Marianne : excuse-moi, c'est 
                            pas tout à fait ça que j'ai voulu dire. 
                            Parce que justement, sur la dignité, j'ai un… 
                            là dessus, je suis droite comme un "i". 
                            Moi, je suis née, j'ai jamais demandé 
                            à naître, et ma dignité, je l'ai 
                            toujours eue, on me l'a pas enlevée. Et ceux 
                            qui sont indignes, c'est pas moi, c'est ceux qui m'ont 
                            faite. Alors moi, je ne pourrai jamais dire, comme 
                            toi : "qu'on me rende ma dignité" 
                            parce que je l'ai jamais perdue. Et ça c'est 
                            dans ma tête depuis toujours. Alors des moments, 
                            je flanche, mais toujours dans ma tête, quoique 
                            je fasse comme action politique, j'ai ma dignité, 
                            je ne l'ai jamais perdue. C'est évident. Et 
                            ceux qui l'ont perdue, c'est les criminels, c'est 
                            pas moi.  (changement de face) Milène : je veux juste 
                            terminer en disant que ce que j'ai fait, c'est juste 
                            la première étape du signalement. Ce 
                            signalement, je l'ai fait par le moyen d'une lettre 
                            au procureur. J'aurais pu le faire par le biais d'une 
                            lettre à la DDASS, Je ne le savais pas, on 
                            m'a conseillée d'écrire une lettre au 
                            procureur de la ville où habite mon agresseur. 
                            Suite à quoi un mois après, j'ai reçu 
                            une convocation au bureau de police. Mais cette convocation 
                            au bureau de police n'est pas une étape supplémentaire, 
                            elle est simplement la suite logique de la lettre. 
                            Et si on veut, c'est presqu'un peu le retour à 
                            la case départ. En fait, la lettre au procureur, 
                            c'est quand on n'ose pas aller tout de suite au bureau 
                            de police déposer. Donc je n'ai pas franchi… 
                            c'est eux qui vont décider s'ils me font franchir 
                            une étape supplémentaire. C'est le procureur.qui 
                            va décider si oui ou non il juge qu'il veut 
                            m'entendre ou pas. Donc dans le fond, c'est case départ, 
                            j'ai rien fait de plus que ce que Virginie a fait 
                            en écrivant à sa famille. Delphine : c'est pas peril, écrire 
                            au procureur et à sa famille… Milène : écrire 
                            à ma famille, je l'ai fait aussi. Toutes les 
                            étapes que Virginie a dites, je l'ai ai toutes 
                            passées. On m'a bien dit aussi, à la 
                            police et à SOS viol, qu'il fallait que je 
                            me prépare à l'éventualité 
                            que ça continue. Je m'y prépare. Je 
                            m'y prépare d'autant plus… sereinement… 
                            non… je ne peux pas dire ça. Mais ma 
                            peur est mise à distance et c'est presqu'avec 
                            calme. En tous cas, avec détermination, parce 
                            que j'ai eu ujn divorce de dix ans qui a été 
                            comme une espèce de… comment on va dire… 
                            qui n'aurait jamais dû se passer en tant que 
                            tel, qui a été une répétition. 
                            J'ai déplacé ce que je m'attends à 
                            faire maintenant pour la bonne raison et pour la bonne 
                            personne. Virginie : il y a un truc aussi, 
                            que je voulais dire, c'est que dans les cas où 
                            on est pas comme Marianne - "je me casse à 
                            dix-huit ans" - dans les cas où on est 
                            sous influence. Il y a des cas où l'agresseur 
                            cherche tout le temps, comme ça, et ça 
                            peut durer des années. Je trouve que ce qui 
                            est important, c'est le jour où on dit "non" 
                            à ça, en fait. Ça peut être 
                            le jour, comme j'ai fait, où on envoie une 
                            lettre en disant "ça m'a fait mal, je 
                            ne suis pas d'accord ; ce n'est pas dut tout ce que 
                            tu crois, ce n'est pas rien"… enfin porter 
                            plainte, je ne sais pas comment expliquer ; il me 
                            semble que porter plainte, c'est presque moins important 
                            après, sauf s'il y a des gens à défendre. 
                            Mais il me semble que c'est moins difficile que de 
                            se défaire de l'emprise psychologique que l'agresseur 
                            exerce à un moment donné sur nous, et 
                            qui fait qu'un jour on dit : "stop! Ce n'est 
                            pas rien, non. Ça ne me convient pas, ça 
                            ne m'a jamais convenu". Se rebeller contre ça 
                            me semble nécessiter beaucoup plus de force 
                            et de courage. Porter plainte, c'est vrai qu'on a 
                            vu souvent que (inaudible) Delphine : ouais, mais est-ce 
                            que c'est pas se sortir de l'emprise, aussi, que de 
                            se dire : ma sœur est en danger, donc je fais 
                            ça. Parce que nous, là, personne… 
                            de nous… nos agresseurs sont bien… ou 
                            alors faut vraiment se faire de la gym pour se dire 
                            qu'ils n'ont pas été en contact avec 
                            d'autres enfants depuis nous. Ils ont été, 
                            certains, parents… Milène : vous voulez que 
                            je vous lise ce que mon père dit de ses petits-enfants 
                            ? Virginie : vas-y… Milène : (lit la lettre) Delphine : oui mais justement, 
                            on ne voit pas spécialement qu'il est agresseur, 
                            dans cette lettre. On voit un bon grand-père, 
                            un papi. Milène : oui, c'est vrai, 
                            on ne voit pas; Delphine : ce que je voulais 
                            dire, c'est que justement, ils sont en contact avec 
                            d'autres enfants. Alors que là, nous, depuis 
                            une heure, on fait comme s'ils n'étaient pas 
                            en contact avec des enfants. Annabel : on sent qu'on a déjà 
                            toutes faits des efforts énormes pour parler 
                            (inaudible). Deuxième chose, par rapport à 
                            l'éventualité d'une plainte, c'est vrai 
                            que, ça fait peur aussi que (inaudible… 
                            monter un dossier ? chercher des preuves…) et 
                            si en plus on ne trouve pas de preuves, que les témoignages 
                            ne servent pas du tout ; moi, j'ai tellement pensé 
                            à ça et je me suis dit : je serais violée 
                            une deuxième fois. Je vais être définitivement 
                            classée, non seulement dingo, mais salope. 
                            Et ça, c'est un risque terrible. Parce que 
                            regardez ce qu'on se trimbale pour arriver à 
                            avancer. Et comme tu le disais, quand même dans 
                            la dignité ; est-ce qu'on peut supporter l'éventualité 
                            - parce que c'est pas forcé - réenfoncée 
                            au déni. Milène : et à la 
                            poursuite en diffamation. Annabel : alors ça, c'est 
                            une question que je pose. Ce qui contrebalance ça, 
                            parce que c'est toujours un effet de balancier, c'est 
                            que quand je vois ma fille fracassée, la souffrance 
                            atroce que j'ai laissé reproduire sur ma fille, 
                            ça me pousserait à porter plainte. Plus 
                            la société aura entendu parler… 
                            peut-être on se sera cassé les dents 
                            en croyant que ça va marcher… mais on 
                            va peut-être commencé à faire 
                            poser le pied sur le frein et sur le passage à 
                            l'acte de tous ces agresseurs, qui, peut-être 
                            sont des victimes. Mais moi, comme tu le disais, pour 
                            que je me reconstruise, ça passera peut-être 
                            par un pardon au sens chrétien du terme mais 
                            en tous cas, moi je ne suis pas là pour l'excuser. 
                            Je ne suis pas sa mère en plus. Je parle pour 
                            mon cas personnel, mais il faut qu'on endigue le flot. Virginie : tu veux dire qu'il 
                            faut le faire même d'un point de vue militant 
                            ? que si nous on ne le fait pas, personne ne le fera 
                            ? ça, je suis d'accord. Annabel : oui, et si je pouvais, 
                            si je me décidais, si je pouvais porter plainte, 
                            je le ferais. Pas du tout en étant sûre 
                            que ça va marcher mais pour qu'on soit nombreux. 
                            Parce que plus on le fera, plus il y aura des mômes 
                            qui ne vivront pas ce qu'on a vécu. Milène : bien dit. Virginie : en tous cas, moi, 
                            je voudrais dire que je préférerais 
                            un petit signalement dans un coin. Mais alors m'imagine 
                            me retrouver en face à face, tout ça… 
                            non mais bon. Faut pas oublier que t'as quand même 
                            la pétoche parce que c'est ton frère, 
                            ton père, ton grand-père… Annabel : au moment où 
                            tu parles, moi, je me vois en chemise de nuit. Tu 
                            vois ? je voudrais être en chemise de nuit dans 
                            le prétoire. Hein! J'peux te dire que… 
                            là, on n'aurait pas pitié de ce pauv'vieux. Virginie : au moins, là, 
                            ça rigolerait pas. Delphine : tant mieux si tu vois 
                            les choses comme ça. Jeudi, le procès 
                            auquel j'ai assisté, c'était un grand-père 
                            contre qui sa petite fille portait plainte. C'était 
                            un notable. Les avocats de la défense, donc 
                            du mec, ils faisaient passer la petite fille pour… 
                            elle était là… Annabel : mais c'est le jeu, 
                            c'est de bonne guerre. Ils font leur boulot. C'est 
                            pour ça qu'elle a insisté sur les preuves 
                            et elle a raison. De toutes façons, même 
                            avec des preuves béton, c'est la vie du procès. 
                            Prenons le cas de Marianne : on retrouve un dossier, 
                            on retrouve des fiches, allez, allons jusqu'à 
                            ta pauvre maman qui dit "oui, oui, j'ai fermé 
                            les yeux, je le savais", vraiment, tout. Et bien 
                            il faut s'attendre à ce que le père, 
                            vivant, prenne un avocat et qu'il fasse son boulot 
                            et dise "regardez…". Bien sûr. 
                            On est quand même adulte et on sait aussi à 
                            quoi on s'engage quand on lance la machine judiciaire. 
                            Ceci dit, et c'est là où je rejoins 
                            (inaudible). Delphine : moi, je voudrais dire 
                            que vis-à-vis de mon père ; parce que 
                            mon père, c'est pas si vieux, il est pas mort, 
                            je pourrais presqu'encore porter plainte, et bien 
                            je ne le fais pas. Et pourquoi je ne le fais pas, 
                            parce que je me dis qu'il va aller en taule. Mais 
                            toi, t'as porté plainte, pourquoi tu le dis 
                            pas ? Annabel : j'en ai pris plein 
                            la gueule. Tous mes amis d'enfance… et c'était 
                            pas contre mon père, c'était contre 
                            mon époux. Delphine : c'était pas 
                            là-dessus ? Annabel : c'était complètement 
                            là-dessus. Danielle était dans un état 
                            de dépression, de somatisation, parce qu'il 
                            la tripotait. Et l'autre, sa sœur, à qui 
                            il écrivait des lettres (inaudible). Moi ce 
                            que je voulais, c'était qu'il soit déchu 
                            de ses droits paternels. Je n'en pouvais plus que 
                            quand ils prenaient ses enfants en week-end, ils reviennent 
                            tous les trois dégommés. C'était 
                            une horreur. Je me disais, qu'il soit déchu 
                            de ses droits paternels, comme ça il fera plus 
                            chier. Virginie : c'était ton 
                            mari ? Annabel : oui, parce que si tu 
                            veux, j'ai été violée ; j'ai 
                            épousé sans le savoir à dix-sept 
                            ans et demi, un homme violent. J'ai eu un premier 
                            enfant, aussi sec, battu. J'ai eu les filles, violées. 
                            Et moi, je ne voyais rien, je ne comprenais pas pourquoi, 
                            je me disais "il ne se passe rien mais je ne 
                            comprends pas pourquoi j'ai peur". J'ai divorcé 
                            quand les filles avaient huit ans et l'aîné 
                            douze ans. Je me suis remariée quelques années 
                            après, j'ai eu d'autres enfants. Donc l'adolescence, 
                            c'était absolument apocalyptique. Donc j'ai 
                            fini par porter plainte. Ça a été 
                            tellement long! Alors, il y a eu une enquête 
                            auprès des gendarmes, et le parquet a décidé… 
                            comment j'ai pu oublier ça… le parquet 
                            a décidé de co-porter plainte avec moi. 
                            Ça veut dire que des preuves, on en avait, 
                            quand même. Marianne : mais la qualification 
                            de la plainte, c'était quoi ? Annabel : je demandais qu'il 
                            soit déchu de ses droits paternels aprce que, 
                            avec les lettres qu'il envoyait à mes filles, 
                            il les rendaient dingues.  Marianne : ah mais donc, vous 
                            le saviez… Annabel : ah oui. Parce qu'elles 
                            se sont effondrées, on est allé voir 
                            le docteur J., le médecin. Puis on a porté 
                            plainte. Ça a mis deux ou trois ans, et quand 
                            ça a été être jugé, 
                            elles venaient juste d'être majeures, et le 
                            jugement, pour moi, ça a été 
                            abominable, parce que c'était marqué 
                            que tout était absolument reconnu mais que 
                            puisqu'ils étaient majeurs, s'ils voulaient 
                            vraiment faire un procès à papa, et 
                            bien il fallait qu'ils le fassent eux-mêmes. 
                            Et moi, déboutée. Delphine : oui, mais parce que 
                            ta demande, c'était qu'il soit déchu 
                            de ses droits paternels. Et avec la majorité… Annabel : alors c'est très 
                            ambigu parce que le jugement reconnaît tout, 
                            mais on ne jugera pas. Mais ce qui a été 
                            très dur, c'est la réaction de mes amis 
                            d'enfance, de ma belle sœur, à l'époque, 
                            et même de mon avocat, qui était un ami 
                            d'enfance. Ça a été épouvantable 
                            de passer pour une de ces femmes aigries qui inlassablement 
                            refont vivre le divorce à leur mari, ou pour 
                            quelqu'un qui… d'ailleurs, mes enfants eux-mêmes, 
                            à l'époque, étaient totalement 
                            opposés. Pauvre papa, salope de maman… 
                            c'était ça. Delphine : ce que tu décris 
                            là, je le vivais en permanence ; j'étais 
                            tout le temps malade quand je rentrais de chez mon 
                            père, mais je l'adorais. En plus il souffrait 
                            tout le temps, il pleurait tout le temps, c'était 
                            vraiment mon pauvre petit papa. Virginie : est-ce qu'on n'est 
                            pas dans un truc… parce que quand on prend un 
                            enfant pour faire ses jeux sexuels, est-ce que c'est 
                            pas en faire un adulte malgré lui, et du coup 
                            l'adulte, enfin l'enfant, se met en charge de son 
                            agresseur. Moi je sais que quand mon père m'a 
                            dit "tu comprends, je suis désolé 
                            mais ma femme n'est pas là", c'est vrai 
                            que quelque part, je me suis dit : "bon ben faut 
                            que je prenne sa place, alors". Et donc, t'es 
                            pris dans un rôle d'adulte, finalement. Parce 
                            que l'adulte protège ses enfants. Est-ce que 
                            c'est pas l'agression qui te plonge dans cette espèce 
                            de sur-protection excessive ? Bérénice : mais 
                            qu'est-ce qu'on protège ? on protège 
                            les gens ou on protège la projection de notre 
                            propre souffrance chez eux ? Virginie : non, on les protège 
                            eux d'ennuies qu'ils pourraient avoir. Ça, 
                            on l'entend souvent chez les enfants. Ils protègent 
                            leurs parents quand bien même ils souffrent. 
                           Delphine : oui, mais moi, mon 
                            père; en même temps j'ai envie qu'on 
                            le force à se faire soigner, et en même 
                            temps j'ai pas envie qu'il aille en taule. Je trouve 
                            ça super dur. Et là, je porte pas plainte 
                            parce que… bon, il irait pas en prison parce 
                            que ce serait au civil, donc c'est pas ça qui 
                            peut se jouer. Mais aussi, tout simplement, j'ai pas 
                            de preuve, en fait. Je peux même pas aller chercher 
                            des preuves, parce que ça ne se voyait pas 
                            tant que ça, que ça n'allait pas. J'étais 
                            pas caractérielle, j'étais très 
                            bonne élève ; bon, je dégueulais 
                            tout le temps mais bon… Marianne : mais lisez le sang 
                            des mots! Sur tous ces trucs, quand on est adulte 
                            et comment on vit, ça compte beaucoup pour 
                            le procès. Tout compte. Bon, la meilleure des 
                            preuves, c'est l'aveu écrit. Mais même 
                            avec des preuves écrites, je connais des victimes 
                            qui ne portent pas plainte. Je les connais à 
                            travers un site qu'on connaît bien. C'est à 
                            cause des familles. Tu ne le fais pas à cause 
                            de la famille. Virginie a dit tout à l'heure 
                            quelque chose qui m'a fait tiquer et j'aimerais juste 
                            revenir dessus. Virginie a dit : le jour où 
                            on dit "non". Mais il n'y a pas de jour 
                            où on dit "non". On dit "non" 
                            tout le temps. Mais quand on a intégré 
                            ça et qu'on est enfant, c'est juste que un 
                            enfant, il va pas dire… dans sa tête, 
                            il dit "non" tout le temps. Et une autre 
                            chose que tu as dite , ce que tu dis tout le temps, 
                            d'ailleurs de dire "ce que tu as vécu, 
                            patin, couffin…" mais non! Et puis de toutes 
                            façons, ça compte aussi. Quand tu dis 
                            "moi, c'était pas si grave…" 
                            mais c'est une qualification aussi, tu dois pas dire 
                            ça. Annabel : donc si on récapitule… 
                            on comprend pourquoi on ne porte pas plainte ; mais 
                            on a quand même des raisons de le faire… Delphine : et : est-ce que c'est 
                            quelque chose qui nous occupe la tête ? la plainte, 
                            pas l'inceste… Lise : tout le temps. Dans les 
                            actualités, quand il y a des petites filles 
                            qui sont tuées, parfois par leurs parents mais 
                            parfois, pas par leurs parents, chaque fois je me 
                            sens partie prenante de la justice, pour le jugement, 
                            et chaque fois j'espère que ça va aboutir. 
                            Mais par rapport à moi, non, je ne suis pas 
                            concernée. J'arrive pas à me concerner. 
                            Je suis pas encore… mais pour les autres, oui. Céline : non, moi, je 
                            le situerais… c'est pas que je me sens pas concernée, 
                            mais comment dire… pour moi, c'est pas tant 
                            la justice que ce soit reconnu socialement, quoi. 
                            Et qu'il y ait des actions par rapport à ça 
                            et justement, pour moi, ça ne passe pas forcément 
                            par la justice. Ce qui me bloque, c'est que ça 
                            ne passe que par la justice. Pour moi, ça se 
                            situe ailleurs, il faudrait trouver une autre solution. 
                            Mais j'en ai pas de toute faite. Delphine : que ce soit sur la 
                            place publique, quoi.  Annabel : moi, ce que je veux 
                            dire, c'est que la violence, la transgression, le 
                            mal que véhiculent ces agresseurs est tel que 
                            je ne vois pas comment on peut se passer de la justice. 
                            La fonction de la justice, c'est bien un régulateur 
                            social. Pas que ça, mais bon… je pense 
                            que la conscience sociale évoluera et se mettra 
                            en place parce qu'il y aura eu des phénomènes 
                            marquants qui seront passés par la justice. 
                            C'est pour ça que je suis dans la démarche. Bérénice : moi, 
                            j'y pense de temps en temps, mais c'est pas quelque 
                            chose. Si, il y a eu le fameux week-end juridique 
                            où il y a eu les trois affaires qui ont éclaté, 
                            et ça avait fait écho. Mais sinon, je 
                            réalise qu'il faut être sacrément 
                            armé pour ça, et que moi, je… 
                            une des premières choses que j'ai remarquées, 
                            c'est que les gens font l'objet de suspicion quand 
                            ils racontent leur histoire. Et moi, j'ai une telle 
                            difficulté avec le fait de dire, que déjà 
                            rien que ça, ça me plombe. Enfin, c'est 
                            de plus en plus précis, pour mon cousin… Marianne : en général, 
                            dans la journée, c'est pas un truc auquel je 
                            pense beaucoup. Parce que comme Céline, je 
                            pense que… alors je parle pas pour les victimes 
                            en général, mais comme nous on fait 
                            partie d'une association, on rencontre des victimes, 
                            et des cas particuliers, des personnes particulières. 
                            Et c'est vrai qu'on va plus penser, si les personnes 
                            sont très très mal, à leur dire 
                            d'aller voir un psy ou de venir au groupe de parole, 
                            que de leur dire d'aller porter plainte. Ça 
                            c'est un truc. Dans ma tête, c'est comme ça. 
                            Mais ce que j'ai toujours dans la tête quand 
                            même, c'est que j'aimerais que les choses changent, 
                            mais le processus ne peut se mettre en place que si 
                            tu as le statut de victime. Si tu n'as pas le statut 
                            de victime, rien ne se mettra en place pour toi, sauf 
                            le système D, c'est à dire les associations 
                            qui vont te trouver des trucs. Mais officiellement, 
                            être reconnue comme handicapée parce 
                            que tu ne peux pas travailler, et donc, soit on va 
                            te reconnaître comme dépressive et on 
                            va chercher à reconnaître pourquoi ; 
                            mais si tu n'es pas dépressive mais que tu 
                            ne peux pas travailler parce que t'as la phobie de 
                            la hiérarchie ou je sais pas… ben ça 
                            ce sera pas reconnu si tu as pas un procès. Milène : quand j'ai pris 
                            un congé maladie longue durée, j'ai 
                            dit à l'académie que c'était 
                            pour ça ; et je l'ai mis sur le formulaire 
                            de la sécu. La secrétaire m'a dit que 
                            je n'aurais jamais dû faire ça, et je 
                            lui ai dit que si, que j'étais très 
                            bien de le dire. Delphine : on n'a plus beaucoup 
                            de temps mais on avait encore deux questions. La première, 
                            on y a un peu répondu, c'est : si quelqu'un 
                            d'autre de ma famille portait plainte, je suivrais 
                            ? et le dernier truc que je voudrais poser, à 
                            nous qui sommes à Arévi, c'est : si 
                            quelqu'un nous demande conseil, est-ce qu'on l'encourage 
                            aller dans cette voie là ou pas ? qu'est-ce 
                            qu'on dit ? Bérénice : sans 
                            hésiter pour mon cousin, si quelqu'un porte 
                            plainte contre lui. Plus facilement sans hésiter. 
                            Et pour la demande à Arévi, d'abord 
                            j'amènerais la personne à faire un état 
                            des lieux, pour voir la situation et pour que la personne 
                            puisse se décider elle-même en connaissance 
                            de la situation. Il n'y a pas de conseil donner, je 
                            trouve. Céline : alors moi, c'est 
                            sûr que si ma sœur portait plainte, je 
                            la soutiendrais complètement. Là, si 
                            je m'empêche, c'est que c'est vraiment la personne 
                            concernée et qu'elle ne veut pas en parler 
                            donc j'aurais l'impression d'usurper sa place et c'est 
                            hors de question pour moi. Par rapport à aider 
                            ou à donner conseil à quelqu'un, je 
                            ne me sens aucune compétence pour dire quoi 
                            que ce soit, mais j'irais plutôt dans le sens 
                            de Bérénice, d'amener quelqu'un à 
                            parler en connaissance de cause. Lise : bah c'est facile, si quelqu'un 
                            de ma famille porte plainte, je le soutiens. Et puis 
                            si quelqu'un me demande conseil, je crois que… 
                            déjà, il y a Arévi ; je crois 
                            que je convoquerais Arévi, déjà. 
                            Parce que c'est lourd à porter. Bon, je soutiendrais 
                            moralement la personne, mais je crois que je ne prendrais 
                            pas de décision seule. Annabel : alors je soutiens ma 
                            fille qui porte plainte, évidemment. Mon autre 
                            fille qui porte plainte, évidemment. Par rapport 
                            à une personne qui viendrait demander conseil 
                            ; en écoutant les trois personnes précédentes, 
                            je me dis que c'est la voix de la sagesse. Et en même 
                            temps, est-ce que quelque part, on ne se défile 
                            pas en allant voir les personnes compétentes 
                            de l'association. Parce qu'en même temps, c'est 
                            à moi qu'on vient demander conseil. C'est sûr 
                            que je ne donnerais pas un "conseil". Je 
                            donnerais un avis en disant : "voilà mon 
                            avis, à moi, et c'est mon avis d'Annabel et 
                            je ne suis ni médecin, ni psy." Mais il 
                            certain que je l'écouterais, et que je donnerais 
                            un conseil par rapport aux propos qu'elle dit. Par 
                            exemple si j'ai en face de moi un mythomane ou un 
                            dingue complet, tu vois, je n'en sais rien. Mais a 
                            priori sur cette personne là à qui je 
                            fais confiance, je lui dis : si moi, à sa place 
                            je porterais plainte, et bien je lui dis : "moi, 
                            à ta place, je porterais plainte pour ces raisons". 
                            Si, par contre, je ne comprends pas pourquoi elle 
                            veut porter plainte parce que je ne comprends pas 
                            son truc, et bien je lui dis : "je ne te réponds 
                            pas". Je crois que je m'engagerais, personnellement, 
                            hein, pas en tant qu'expert, le statut de victime 
                            ne donne pas de droit non plus ; mais moi en tant 
                            qu'adulte, ayant quand même vécu ça, 
                            je prendrais une position individuelle. Delphine : mais si quelqu'un 
                            vient nous voir à Arévi et ne pense 
                            pas spécialement à ça, est-ce 
                            qu'on le met sur la voie de la plainte ? Annabel : Aahhh! Mais c'est autre 
                            chose. Bérénice : c'est 
                            pas notre rôle. Annabel : tu rigoles ?! on vient 
                            de se faire deux heures de machin pour dire "ouais, 
                            faut penser aux autres…" et les gars ils 
                            viendraient, et… "non, on parle pas de 
                            plainte". Non, les enfants, là, je… Milène : vous n'êtes 
                            pas si opposées. Simplement, il y a des étapes 
                            à franchir qu'on ne peut pas brûler, 
                            et la personne doit les passer à son rythme. 
                            Et une fois qu'elle… Céline : il y a des gens, 
                            quand même, qui se sont suicidés. On 
                            le sait. Donc c'est une question sur laquelle faut 
                            être prudent. Delphine : et Marianne, si quelqu'un 
                            d'autre de ta famille portait plainte, est-ce que 
                            tu le soutiendrais ? Marianne : ben comme je crois 
                            pas que ça arrive, je sais pas… Delphine : ton frère, 
                            par exemple, s'il portait plainte contre ton père 
                            ? Marianne : ben, tu vois, il irait 
                            porter plainte, j'irais pas le soutenir, lui. Il irait 
                            porter plainte, je parlerais que pour moi. Lui, je 
                            m'en fous. Je parlerais que pour moi. Virginie : tu associerais ta 
                            plainte à la sienne. Marianne : oui, si c'est pour 
                            que ça fasse plus de trucs. Il peut y avoir 
                            plusieurs plaintes. Mais ce serait pas pour l'appuyer 
                            lui, personnellement. Mais c'est tellement impensable… Delphine : et une cousine, t'as 
                            pas une cousine ? Milène : moi j'ai une 
                            cousine, je peux parler ? Marianne : j'ai une cousine, 
                            mais je les connais plus.  Céline : et pour le conseil 
                            ? Marianne : ah ben moi, c'est 
                            pas compliqué, c'est toujours la même 
                            réponse : pour aller en justice, il faut être 
                            blindé. Preuves, blindage. Mais pas forcément 
                            des grosses preuves, mais un faisceau de preuves. 
                            On peut faire la liste avec lui. Et moi, je sais assez 
                            faire la différence entre bonnes preuves et 
                            mauvaises preuves. J'ai assez vu de trucs, chez moi, 
                            et il y a eu assez de procès de victimes avec 
                            des grosses preuves, où elles ont gagné, 
                            avec des preuves comme-ci, comme ça, mais on 
                            peut faire la liste. On peut déjà faire 
                            des listes des preuves. Delphine : mais c'est une bonne 
                            idée, là ; on pourrait faire ça 
                            : un répertoire de preuves. Milène : et mon enfant 
                            mort, est-ce que c'est une preuve ? Marianne : c'est une preuve si 
                            au moment des faits, il y a des traces, des dossiers, 
                            des archives. Si on peut retracer les conséquences. 
                            On croit qu'il y a rien, des fois, mais en fait, on 
                            peut souvent aller chercher. Donc je dirais à 
                            la personne : "voilà, si t'es pas blindée 
                            au niveau des preuves, voilà, au moment des 
                            faits, avec des conséquences de vie, tout ça, 
                            etc… c'est même pas la peine que tu y 
                            ailles, c'est toi qui va être laminée". Delphine : Virginie, si ta demi-sœur… Virginie : ben moi, je suis assez 
                            bourge… je me dirais : "putain, elle a 
                            eu les couilles de le faire, je le fais aussi". 
                            C'est pas que je la suivrais, c'est que ça 
                            m'inciterait presque à le faire. J'ai pas la 
                            pêche de le faire. Pour l'autre question, moi, 
                            je suis un peu "faites ce que je dis et faites 
                            pas ce que je fais" je lui dirais : "moi, 
                            j'ai pas eu les couilles de le faire mais surtout 
                            fais pas ça. Evidemment, faut que tu prennes 
                            des conseils parce qu'il y a ça, et ça, 
                            et ça, mais fais pas comme moi ; c'est à 
                            dire, cherche pas inconsciemment à protéger…". 
                            Je crois que je lui ferais part de mon expérience 
                            : voilà, moi, j'ai fait ça ; je me suis 
                            retrouvée un jour en psychothérapie, 
                            j'ai fait le lien avec ce que j'avais vécu 
                            ; mon mari me le dit tout le temps. Voilà, 
                            réfléchis bien à tout ça 
                            ; bon moi, je suis trop vieille mais toi, essaie vraiment 
                            de te projeter dans cette expérience là, 
                            mais si tu peux faire mieux que moi, dans l'absolu, 
                            je crois que c'est toujours mieux. C'est presqu'une 
                            idée… c'est une espèce d'affirmation. 
                            Maintenant, la justice, la société, 
                            font que ça va pas être facile, etc… 
                            mais si toi tu pouvais y arriver, ce serait super 
                            pour toi. Mais ne tombe pas dans le piège dans 
                            lequel je suis tombée, dans l'espoir…" 
                            mais c'est un peu idyllique ce truc, c'est mon rêve 
                            de petite fille. Mais je me dirais que si j'ai réussi 
                            à en convaincre plusieurs, et qu'en plus elles 
                            ont trouvé de bons conseils, et qu'en plus 
                            elles ont réuni de bonnes preuves, je serais 
                            vachement contente d'avoir réussi à 
                            déclencher, à partir d'une expérience 
                            de ce que moi je considère comme une expérience 
                            négative, une étincelle positive chez 
                            elles. Milène : je voulais parler 
                            de la cousine, tout à l'heure. Elle ne portera 
                            pas plainte, elle ne veut pas porter plainte, mais 
                            elle va mieux depuis qu'elle a pu en parler. C'est 
                            sûr. Delphine : violées par 
                            le même agresseur ? Milène : le même 
                            ? non. Ils sont trois frères. Donc mon père, 
                            le dernier, et puis c'est les deux autres… c'est 
                            très sympa. Delphine : comment tu sais ? Milène : elle me l'a dit. 
                            Parce qu'elle me l'a dit. Si tôt après 
                            la mort de son père, on est allé louer 
                            une maison huit jours ensemble et elle m'a parlé. Delphine : tu veux dire un dernier 
                            mot ? Marianne : oui, on n'a pas abordé 
                            la reconstruction par le juridique. Ici, on n'a pas 
                            fait de procès, effectivement, mais on aurait 
                            pu l'aborder. Milène : Annabel l'a abordé. Annabel : c'était plutôt 
                            la destruction… je m'en suis pris plein dans 
                            la gueule. Milène : c'était 
                            un peu les deux, apparemment. Delphine : oui, (inaudible et 
                            fin de la cassette). 
    
 
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